Passage du "Moins Disant" ou "Plus Disant" au "Mieux Disant" dans les Appels d'Offres Marocains
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Du Moins Disant au Mieux Disant
Historiquement, de nombreux marchés au Maroc (et ailleurs) étaient attribués selon le principe du « moins-disant » — c’est-à-dire que l’offre la moins chère l’emportait dès lors qu’elle remplissait les conditions minimales. Cette approche du prix le plus bas favorisait souvent une "course vers le bas" : les fournisseurs réduisaient leurs marges, rognaient sur la qualité ou sous-enchérissaient à l’extrême pour gagner, quitte à compromettre l’exécution ou le périmètre du projet. En France, un contrat de collecte de déchets illustre bien cette dérive : l’entreprise lauréate proposa une offre 7 millions d’euros moins chère que la suivante (sur un marché de 28 millions), mais débuta l’opération avec seulement 9 camions sur les 17 requis, créant un chaos pour les habitants.
À l’inverse, le « plus-disant » est utilisé dans des scénarios comme les concessions ou les enchères, où l’acheteur cherche la meilleure offre financière — par exemple, dans la vente d’actifs publics ou l’octroi de concessions. Le critère n’est plus le coût le plus faible, mais le gain le plus élevé pour la partie publique.
Le « mieux-disant » privilégie, quant à lui, la meilleure valeur pour l’argent investi — en équilibrant prix et qualité. L’objectif est de retenir l’offre la plus avantageuse en termes de coût, de mérite technique, de délais, etc. Cette approche, fondée sur des critères qualitatifs, est considérée comme une bonne pratique internationale car elle maximise les chances de sélectionner un prestataire compétent et fiable.
La Réforme Marocaine : L’Adoption du Mieux Disant
Le Maroc a adopté une réforme majeure de la commande publique avec le décret n° 2.22.431 du 8 mars 2023 (entrée en vigueur en septembre 2023). Le mieux-disant devient la norme pour l’évaluation des offres. Cette réforme introduit notamment une formule mathématique d’évaluation financière basée sur un « prix de référence ».
Toute offre inférieure ou supérieure de plus de ±20 % par rapport au budget estimé est automatiquement écartée. Parmi les offres restantes, un prix de référence est calculé (pondération 50/50 entre estimation de l’acheteur public et moyenne des offres recevables). Le marché est attribué à l’offre dont le prix est le plus proche de ce prix de référence, sans le dépasser.
L’objectif : éliminer les offres irréalistes et orienter la compétition vers des propositions solides, techniquement et financièrement. L’évaluation technique est également intégrée — les offres sont notées sur leur qualité technique, puis combinées avec le score prix.
Cependant, des critiques émergent : la rigidité de la formule est accusée de transformer la soumission en un jeu de devinettes. Certains évoquent une « approche purement statistique » où des soumissionnaires chanceux remportent le marché par hasard. D'autres pointent le risque de collusion (soumissions artificielles pour manipuler la moyenne). Des ajustements sont réclamés : plus de flexibilité, d’analyse qualitative et de transparence.
Exemples par méthode
1. Moins-disant
- Contexte : Reconstruction d’une route rurale de 5 km.
- Offre gagnante : Entreprise A propose 8 M MAD, soit 20 % de moins que l’estimation du maître d’ouvrage (10 M MAD).
- Conséquence : A gagne le contrat, mais doit réduire ses coûts dans les matériaux, conduisant à des retards et à des réclamations qualité.
2. Plus-disant
- Contexte : Concession de gestion d’un parking public.
- Offre gagnante : Société B propose de verser 2 M MAD/an à la commune, contre 1,5 M pour son concurrent.
- Conséquence : B obtient la concession car elle offre la meilleure contribution financière, quitte à facturer des tarifs de stationnement plus élevés aux usagers.
3. Mieux-disant
- Contexte : Fourniture et maintenance d’un système de gestion des déchets pour une métropole.
- Offre gagnante : Société C propose 12 M MAD (±5 % de l’estimation), un score technique de 92/100 (innovation, délais, garanties).
- Conséquence : C est retenue grâce au meilleur équilibre prix/qualité, même si son prix n’est pas le plus bas.
Tableau comparatif des méthodes
Méthode | Avantages | Inconvénients |
---|---|---|
Moins-disant | - Très simple à mettre en œuvre - Permet de réaliser des économies budgétaires immédiates | - Risque de qualité médiocre ou retards - Encourage la sous-évaluation et les litiges |
Plus-disant | - Maximisation des recettes pour le donneur d’ordre - Utile pour les concessions ou ventes d’actifs | - Peut pénaliser les usagers ou consommateurs finaux - Nécessite une analyse financière poussée |
Mieux-disant | - Sélection basée sur une vision globale (prix + qualité) - Encourage l’innovation et la performance | - Processus plus complexe et coûteux en expertise - Risque d’anticipation erronée du « prix de référence » |
Conséquences pour les Entreprises (Locales, Étrangères, Public/Privé)
Entreprises Marocaines
Elles bénéficient de la préférence nationale (avantage de 15 % sur le critère prix) et de quotas réservés (30 % des marchés publics pour PME, coopératives, auto-entrepreneurs). Toutefois, elles doivent désormais renforcer la qualité de leurs offres pour rester compétitives.
Entreprises Étrangères
Elles subissent le malus de 15 % sur le prix. Pour gagner, elles doivent proposer une forte valeur ajoutée technique ou s’associer avec des acteurs locaux. Il leur faut aussi adapter leurs prix aux références du marché marocain (coûts de main-d’œuvre, matériaux locaux, etc.).
Secteur Privé
Bien que non soumis au décret, le secteur privé suit la tendance. Les acheteurs privés utilisent souvent des critères mixtes (par exemple : 70 % technique, 30 % prix). Cela favorise les offres à forte valeur ajoutée, surtout pour les projets complexes.
Rôle de l’Analyse de Données et de l’IA
Avec cette complexité croissante, les entreprises se tournent vers des outils d’analyse et d’IA comme Bidwise.ma. Cette plateforme propose plusieurs modules :
- Hawk : détection des opportunités
- Pilot : analyse de documents
- Scribe : rédaction assistée par IA
- Oracle : analyse et simulation des offres
Grâce à ces outils :
- Les entreprises analysent l’historique des AO pour prédire les prix gagnants
- Elles ajustent leurs prix face à la concurrence et aux tendances sectorielles
- L’IA suggère des plages tarifaires optimales et rédige du contenu conforme
- Des alertes en temps réel permettent d’adapter les offres pendant la phase de soumission
En bref, les données remplacent l’instinct. L’offre devient plus stratégique, mieux ciblée et mieux positionnée pour réussir.
Conclusion
Le passage au mieux-disant marque une transformation en profondeur du marché marocain des appels d’offres. Les entreprises doivent évoluer : les locales doivent améliorer la qualité et innover ; les étrangères doivent s’adapter aux normes locales et collaborer avec des partenaires nationaux. La donnée devient le nouvel atout stratégique. Les outils comme Bidwise.ma permettent d’ancrer les décisions dans des faits concrets, et d’augmenter la précision et la compétitivité des offres. Ceux qui adoptent cette approche ont toutes les chances de prospérer dans ce nouveau paysage.
Sources
- Décret n° 2.22.431 (2023)
- Tribune Le Matin (2024)
- Maroc Business & Aujourd’hui le Maroc
- Rémy Canuti (2024)
- Bidwise.ma (Modules Scribe et Oracle)
- ProQsmart (2025)
- Définitions générales des méthodes d’attribution